Lea Baroudi
2023 Mention d’honneur
Liban
L’histoire de Lea
En 2015, de jeunes Libanais issus des deux camps d’un conflit vieux de plusieurs décennies se sont réunis pour monter une pièce de théâtre. Amour et guerre sur un toit : un conte tripolitain est une comédie inspirée de leur vie dans la ville de Tripoli, dans le nord du pays. Au début, les jeunes arrivaient armés aux répétitions. Ils devaient laisser leurs couteaux et leurs armes à feu dans un sac à ordures déposé à la porte d’entrée. Après des mois de répétitions, ils sont passés du statut d’ennemis à celui d’amis et se sont produits à guichets fermés dans tout le Liban. Lors de la dernière représentation, l’un des acteurs a pris un autoportrait avec les autres membres de la troupe. Derrière eux, un public hétéroclite les ovationne. Au centre se trouve Lea Baroudi.
Lea Baroudi est médiatrice de paix et cofondatrice et directrice de MARCH, une organisation à but non lucratif qui utilise l’art, la culture et l’entreprise sociale pour favoriser la réconciliation et le dialogue entre des groupes opposés au Liban.
À Tripoli, le quartier majoritairement sunnite de Bab al-Tabbaneh et le quartier à majorité alaouite de Jabal Mohsen sont séparés par une seule rue. Autrefois symbole de la prospérité de la ville, la rue de Syrie est devenue une ligne de démarcation lors de la guerre civile libanaise (1975-1990) et a servi de ligne de front dans un conflit vieux de plusieurs générations entre ces deux communautés. Entre 2008 et 2014, des violences ont éclaté à plusieurs reprises, faisant des centaines de morts et des milliers de déplacés, et détruisant les infrastructures de la ville. Lorsque la guerre a éclaté dans la Syrie voisine en 2011, les hostilités se sont intensifiées et les quartiers de Tripoli sont devenus le théâtre de batailles par procuration. Les fusillades ont cessé en 2014, mais la crise économique et les profondes divisions sectaires persistent.
En travaillant avec les jeunes pour la pièce de théâtre, Lea Baroudi a constaté que le conflit sectaire était principalement causé par l’extrême pauvreté et la marginalisation. Les jeunes n’avaient pas d’espaces communautaires ni de moyens de gagner un revenu hormis le combat. En réponse, elle a ouvert un café culturel sur les anciennes lignes de front du conflit. Plus qu’un café, Kahwetna est le premier espace permettant aux membres des deux quartiers de collaborer à des projets créatifs et d’accéder à des possibilités économiques. MARCH a également créé deux entreprises sociales : Kanyamakan Designs, qui enseigne la fabrication de meubles, la broderie et la peinture sur bois, et l’initiative de construction BEDCO, qui fait participer les jeunes à la restauration de maisons et d’entreprises endommagées par le conflit.
Pour son courage et son engagement à instaurer la confiance entre les communautés en guerre, Lea Baroudi a reçu de nombreuses distinctions, dont le titre de membre honoraire de l’Ordre de l’Empire britannique décerné par Sa Majesté la reine Élisabeth II. Pour Mme Baroudi, cependant, la plus grande récompense est d’assister à des transformations personnelles : voir des porteurs d’armes devenir des acteurs, des artistes et des charpentiers, ou de jeunes décrocheurs scolaires devenir des leaders de la réconciliation.