Wapikoni

L’histoire de Wapikoni

La réalisatrice québécoise Manon Barbeau a été profondément touchée par l’important taux de suicide dont elle a été témoin chez les jeunes autochtones du Québec. Elle a donc réalisé un long métrage avec une quinzaine de jeunes et, dans le processus, a développé un lien très fort avec une jeune qui s’appelait Wapikoni Awashish. Lorsque Wapikoni, alors âgée de 20 ans, est décédée dans une collision entre sa voiture et un camion chargé de bois, Manon a eu l’impression de perdre une fille. Deux ans plus tard, en 2003, elle a décidé d’honorer la mémoire de son amie.

Remarquant l’aisance et la joie qu’exprimaient les jeunes autochtones dès qu’ils avaient une caméra en main, Manon s’est associée au Conseil des jeunes des Premières Nations du Québec et du Labrador et au Conseil de la Nation Atikamekw pour créer Wapikoni Mobile, une organisation à but non lucratif qui donne une voix aux jeunes autochtones à travers la réalisation cinématographique.

Wapikoni Mobile est le seul studio mobile au Canada à se déplacer dans les communautés autochtones éloignées pour enseigner aux jeunes des techniques de réalisation cinématographique avec de l’équipement à la fine pointe de la technologie qu’ils utilisent pour créer leurs propres courts-métrages et œuvres musicales. Wapikoni Mobile distribue ensuite leur travail, organisant 200 projections par année, que ce soit dans des écoles secondaires éloignées ou dans de prestigieux festivals du film. Après les projections, les jeunes réalisateurs sont invités à parler de leur travail, ce qui crée de nouveaux liens entre les personnes autochtones et non autochtones dans une optique de réconciliation.

Wapikoni Mobile a également fondé le Réseau international de création audiovisuelle autochtone qui utilise le cinéma pour promouvoir le respect des droits des autochtones et l’inclusion sociale dans le monde entier. Aujourd’hui, Wapikoni Mobile a encadré 4 000 jeunes de cinq Premières Nations au Canada et de 17 communautés de cinq pays de l’Amérique latine.

Malgré les nombreux prix qu’a reçu l’organisation acclamée sur la scène internationale, son succès se mesure surtout par la réussite de ses participants : certains ont vu leurs réalisations présentées lors du Sundance Film Festival et dans des universités; d’autres ont reçu des bourses complètes dans de prestigieuses écoles de cinéma; certains sont à l’origine du mouvement Idle No More; et d’autres ont parlé lors des Instances permanentes des Nations Unies sur les enjeux autochtones. À travers leurs films, ces jeunes contribuent à la lutte contre le racisme, le préjugé et l’isolement dont les Premières Nations du Canada ont souffert pendant des générations. Wapikoni Mobile a voulu mobiliser les jeunes autochtones vivant dans des communautés éloignées et par ricochet, l’organisation a grandement bonifié la réalisation cinématographique au Canada en y apportant de nouvelles voix et perspectives.

Fundación Construir

L’histoire de Fundación Construir

Après la victoire du président Evo Morales, l’assemblée constituante bolivienne s’est rassemblée le 6 août 2006 dans le but d’ébaucher une nouvelle Constitution nationale. La Fundación Construir a commencé en tant que groupe d’experts embauché par l’assemblée pour la conseiller sur la manière d’intégrer les systèmes juridiques occidentaux et autochtones dans la nouvelle Constitution afin de s’assurer que les nombreux différents groupes nationaux que compte la Bolivie y soient représentés. En permettant un dialogue entre les politiciens, les juges et les communautés autochtones, le groupe a contribué à la création de trois articles historiques reconnaissant les pratiques traditionnelles autochtones en matière de droit et de résolution de conflit.

Ce groupe d’experts est devenu la Fundación Construir en 2008. Depuis, il a continué d’aider les décideurs politiques, les juges et les communautés autochtones à appliquer la vision inclusive de la loi de la nouvelle Constitution afin de créer une Bolivie pluraliste. Construir signifie, de toute évidence, « construire », ce qui n’est pas une tâche facile dans ce pays qui compte 36 langues officielles, 50 nations autochtones et plus de 2 000 systèmes juridiques différents. La Bolivie est un pays polarisé où il est difficile d’atteindre un consensus.

Construir travaille comme groupe de réflexion et comme rassembleur. Il produit de l’importante recherche – comme son répertoire complet des systèmes juridiques autochtones – et sert de lien entre l’État et les communautés autochtones, s’assurant que les meilleures pratiques sont suivies lorsque les autorités travaillent ensemble. Construir offre également des formations dans les communautés autochtones pour garantir leur pleine intégration au sein du système juridique, et forme les juges et d’autres fonctionnaires pour les aider à favoriser le respect envers la justice traditionnelle autochtone.

Construir a également contribué au développement des compétences de centaines de femmes autochtones qui agissent à titre de leaders communautaires en reliant les communautés éloignées aux institutions. Ces femmes ont obtenu le statut juridique de « défenseures de la communauté » et ont été déterminantes dans la lutte contre le trafic humain et la violence faite aux femmes et aux enfants.

Dans un pays qui compte autant de groupes disparates et de défis, le travail de Construir est une poursuite d’équilibre constante. Ses activités sont fondées sur une croyance dans les droits de la personne et sur une vision pluraliste de la justice voulant que celle-ci représente chaque membre de la population diversifiée de la Bolivie.

Rose LeMay

L’histoire de Rose

Rose LeMay appartient à la Première Nation Tlingit de Taku River située dans le nord de la Colombie-Britannique, au Canada. Survivante de la rafle des années soixante, l’enlèvement à grande échelle des enfants autochtones à leur domicile, à leur communauté et à leur famille d’origine dans les années 1960 au Canada, Rose a été retirée de sa communauté alors qu’elle était bébé et a été élevée par une famille non autochtone. Elle a dû découvrir son identité loin de quiconque lui ressemblait et en étant régulièrement victime de racisme. Rose a fini par reconnaître que son expérience lui fournissait une occasion unique en lui permettant d’avoir un pied dans les deux mondes. Elle a donc résolu d’utiliser sa position pour accroître la compréhension entre ces mondes et bâtir un Canada plus pluraliste afin que ses enfants n’aient pas à subir la discrimination dont elle a été victime.

Rose a travaillé pour le gouvernement du Canada pendant vingt ans, plaidant en faveur d’un système de santé plus inclusif des communautés autochtones, en mettant un accent particulier sur la santé mentale. Elle a dirigé la conception d’un plan de santé mentale pour les survivants et élèves des pensionnats autochtones qui ont témoigné lors de la Commission nationale de vérité et de réconciliation (CVR). En 2016, elle a dirigé la Conférence mondiale sur la prévention du suicide chez les Autochtones portant sur la culture comme facteur protecteur, laquelle était tenue pour la première fois au Canada.

En 2017, Rose a fondé l’Indigenous Reconciliation Group (IRG) pour offrir une éducation aux adultes et une formation aux entreprises sur la compétence culturelle autochtone et la réconciliation. L’IRG sensibilise aux types de racisme à l’égard des personnes autochtones au Canada et à la façon dont les Canadiens peuvent travailler ensemble pour l’inclusion des Autochtones, que ce soit en s’assurant que les clients autochtones reçoivent la même qualité de soins de la part des prestataires de services de première ligne ou en soutenant les entreprises pour qu’elles éduquent leur personnel en matière de racisme.

Par le biais de l’IRG, Rose sensibilise le public dans les médias ou par ses conférences. Elle aide les entreprises à transformer leurs politiques et programmes pour soutenir la réconciliation en mettant en œuvre les Appels à l’action de la CVR. Les cours de Rose ont atteint plus de 5 000 personnes au Canada. Le gouvernement du Nunavut et le ministre des Relations avec les Autochtones et de la Réconciliation de la Colombie-Britannique ont fait appel à ses formations, le ministère ayant précisément cherché conseil auprès de l’IRG pour élaborer un plan stratégique visant à mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Comme le souligne Rose, la réconciliation est un cheminement que les Canadiens autochtones et non autochtones ont choisi de suivre ensemble, et les leaders, alliés et agents de changement de tous secteurs de la société canadienne s’efforcent de mieux agir les uns envers les autres et pour le pays.

La Commission de vérité et de réconciliation du Canada (CVR) a été mise sur pied en 2008 pour documenter l’histoire et les impacts durables du système des pensionnats autochtones, à travers lequel 150 000 enfants autochtones ont été enlevés à leur communauté et envoyés dans des établissements financés par l’État, où ils ont été dépouillés de leur culture et sévèrement maltraités. La CVR a établi que le système des pensionnats autochtones équivaut au génocide culturel des peuples autochtones. En plus de guider les Canadiens dans la difficile découverte des faits derrière le système des pensionnats autochtones, la CVR devait établir les fondements d’une réconciliation durable au Canada. En 2015, la Commission a lancé 94 Appels à l’action qui ont été présentés au gouvernement du Canada pour la réconciliation entre les Canadiens et les peuples autochtones. En 2021, les tombeaux anonymes de milliers d’enfants autochtones ont été découverts sur divers sites d’anciens pensionnats autochtones. Ces rappels tragiques de l’héritage du système des pensionnats autochtones soulignent la gravité de la violence perpétrée, l’importance de cette conversation et l’urgent besoin d’actions concrètes pour une réconciliation.

REDIN

« Ce prix est une occasion de faire connaître les luttes des jeunes du Sud, des jeunes racialisés qui résistent à l’oppression linguistique et culturelle de l’État et de son système judiciaire. Nous nous réinventons et nous nous battons, ensemble, depuis nos territoires »

Eduardo Martinez, directeur général et représentant juridique du Réseau d’interprètes et de promoteurs interculturels A.C.

L’histoire du Réseau d’interprètes et de promoteurs interculturels Association civile

Un groupe de jeunes interprètes pénètre dans une prison de la région rurale d’Oaxaca, au Mexique. Comme partout dans cet État, cette prison est extrêmement diversifiée. De nombreuses personnes derrière les barreaux ne parlent pas l’espagnol; elles parlent une variété de langues autochtones. Ce sera leur première occasion depuis des mois de converser dans leur propre langue. Dans certains cas, le tribunal hispanophone ne leur a jamais communiqué les charges retenues contre elles. Avec l’aide des interprètes, elles peuvent poser des questions sur leurs procédures judiciaires et obtenir les dernières nouvelles concernant leur communauté. Par la suite, les interprètes mettront ces personnes en contact avec des défenseurs publics et veilleront à ce que leurs droits juridiques soient respectés. 

Les interprètes sont membres du Réseau d’interprètes et de promoteurs interculturels Association civile (REDIN), un collectif de jeunes autochtones qui renforce l’accès à la justice pour les peuples autochtones. Le REDIN fournit des services d’interprétation en langue autochtone adaptés à la culture des Oaxaquiens engagés dans des procédures judiciaires au Mexique et aux États-Unis.  

Oaxaca est un lieu de grande diversité linguistique et culturelle, avec 16 groupes autochtones recensés et plus de 177 variantes linguistiques. Les communautés autochtones de la région sont confrontées au racisme structurel et historique. Pour échapper aux faibles possibilités économiques et à la marginalisation, de nombreuses personnes émigrent vers d’autres régions du Mexique et des États-Unis. Cette situation place souvent les groupes autochtones, les jeunes, les femmes et les personnes issues de la diversité des genres dans des situations dangereuses ou en contact avec des systèmes juridiques qui ne comprennent pas leur contexte culturel, économique et politique. Lorsqu’ils sont confrontés au système judiciaire, les services d’interprétation pour les langues autochtones font cruellement défaut.  

En formant de jeunes professionnels au métier d’interprète avec une approche interculturelle des droits de la personne, le REDIN contribue à garantir les droits des Autochtones à chaque étape du processus judiciaire. Depuis 2019, le REDIN a formé plus de 120 jeunes autochtones en tant qu’interprètes et a aidé plus de 800 personnes autochtones dans leurs processus judiciaires. En collaboration avec les institutions judiciaires locales, le REDIN a produit un module de formation des interprètes en langues autochtones dans le domaine des poursuites judiciaires et de l’administration de la justice à Oaxaca.  

Le REDIN propose également des formations sur les droits de la personne et l’engagement civique aux étudiants autochtones et contribue à préserver la diversité culturelle de l’État d’Oaxaca en documentant les traditions orales et en défendant les droits des artisans.  

Les initiatives de ce réseau aident la population diversifiée d’Oaxaca à faire respecter ses droits, à faire entendre sa voix et à valoriser sa culture. La mise en relation avec l’un des interprètes du REDIN peut changer la vie d’un prisonnier. En outre, le REDIN renforce les systèmes judiciaires, les rendant plus inclusifs et plus réceptifs à la diversité de la population mexicaine.