Daniel Webb

L’histoire de Daniel

En mars 2014, Daniel Webb a visité le centre de détention extraterritorial de l’Australie situé sur l’île Manus en Papouasie-Nouvelle-Guinée. En traversant les salles bondées remplies de gardes, il a eu l’impression d’être dans une prison. Une des pièces comptait plus de 100 lits superposés placés si près les uns des autres qu’il était presque impossible de se faufiler entre ceux-ci. De plus, quelques jours auparavant, Reza Barati, 24 ans, avait été assassiné par un employé du camp durant une manifestation.

Les personnes que Daniel a rencontrées sur l’île Manus s’étaient rendues en Australie par bateau pour demander l’asile. Toutefois, avant de toucher terre, elles ont été interceptées et détenues dans des centres extraterritoriaux établis presque un an plus tôt par le premier ministre australien de l’époque, Kevin Rudd. En juillet 2013, Rudd a annoncé qu’aucun chercheur d’asile arrivé par bateau ne serait indéfiniment détenu sur l’île Manus, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, et à Nauru. Les conditions de ces centres de détention sont inhumaines et on y rapporte de nombreux cas de violence, d’agression sexuelle, de négligence médicale, de suicide, d’automutilation et plus encore.

Les personnes que Daniel a rencontrées sur l’île Manus étaient inspirantes. Il savait qu’elles pourraient grandement contribuer à la société australienne si on leur en donnait l’occasion. Il a même rencontré un homme qui parlait sept langues, dont deux qu’il avait apprises en détention. Un autre homme qui ne parlait pas un mot d’anglais lorsqu’il est arrivé au centre a maintenant écrit une autobiographie de plus de 1 000 pages en anglais. Daniel a notamment rencontré des musiciens, des joueurs de soccer, des défenseurs des droits des femmes et des commerçants. Surtout, toutes ces personnes étaient des êtres humains qui méritaient dignité et respect.

Avocat de formation, Daniel a reçu le Prix de l’Institut de droit de Victoria en 2010 pour son travail dans les domaines des droits de la personne et de la justice sociale. En 2014, il s’est joint au Human Rights Law Centre (HRLC), une organisation qui défend les droits des autochtones, les droits des LGBTI et d’autres causes liées au pluralisme. Lorsque Daniel s’est joint à HRLC, il ne s’était pas encore attaqué à l’enjeu des réfugiés. Il a donc persuadé le conseil d’administration de créer un programme pour défendre les droits des réfugiés et des demandeurs d’asile, un programme dont il assume maintenant la direction.

Pour s’attaquer à la question des centres de détention extraterritoriaux en Australie, Daniel a conçu une approche novatrice qui combine l’action légale, la sensibilisation dans les médias, les campagnes de sensibilisation du public et l’engagement des Nations Unies. Le travail de Daniel a contribué à tenir le gouvernement australien pour responsable de violation du droit international. Toutefois, il ne s’est pas arrêté là. Daniel a compris le besoin de changer la perception du public à l’égard des demandeurs d’asile. Les Australiens devaient comprendre que les gens détenus dans des centres extraterritoriaux n’étaient pas des menaces, mais des êtres humains ayant chacun leur propre histoire, des talents et une famille. En 2016, il a coordonné la campagne #LetThemStay, qui a touché le cœur et l’esprit des Australiens, mobilisant des enseignants, des chefs religieux, des médecins et des syndicats. Les gens ont manifesté, écrit des lettres et participé à des pétitions en ligne et à des campagnes téléphoniques. Les sondages ont démontré une hausse de 17 % en faveur de laisser les clients de Daniel rester en Australie.

Daniel et ses collègues avocats ont empêché la déportation de plus de 300 personnes, incluant 40 bébés et 50 enfants, sur les îles de Nauru et de Manus, et ont accéléré la libération de plus de 230 personnes détenues, incluant des familles avec enfants. Toutefois, plusieurs de ces personnes courent toujours le risque d’être déportées et Daniel poursuit son combat pour les protéger.

Daniel a démontré que les personnes vivant dans les centres de détention extraterritoriaux ne sont pas des menaces à la société, mais des occasions perdues pour l’Australie. Comme il l’a expliqué : « Lorsque nous les enfermons indéfiniment, non seulement les privons-nous de leurs droits les plus fondamentaux, mais nous nous privons également de tout ce qu’ils ont à offrir à nos communautés. »

Leyner Palacios Asprilla

L’histoire de Leyner

Le Chocó est un des départements les plus précaires de la Colombie. Situé au nord-ouest du pays, il est habité principalement par des Afro-Colombiens et des Amérindiens Emberá, lesquels font partie des communautés les plus marginalisées et exclues du pays. L’isolement de la région et le manque de soutien gouvernemental expliquent les décennies de violence et d’exploitation perpétrées par la guérilla et les forces paramilitaires. Les communautés du Chocó ont vu plus de 15 000 morts en 52 ans de conflit interne en Colombie.

La municipalité de Bojayá, dans le Chocó, a subi une violence constante de la part des deux côtés. Au printemps 2002, les citoyens de Bojayá se sont retrouvés pris au milieu d’une lutte entre le groupe paramilitaire des Forces unies d’autodéfense en Colombie (AUC) et le groupe guérillero des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC).

Des membres de la communauté, les Nations Unies et le bureau de l’ombudsman de la Colombie avaient prévenu le gouvernement des dangers qu’un combat représenterait pour les civils dans la zone. Le matin du 2 mai, alors que des membres de la communauté se mettaient à l’abri dans une église, l’AUC est entrée dans une école adjacente, utilisant les résidents comme bouclier humain. S’ensuivit la plus brutale attaque en 52 ans de conflit colombien. Les FARC ont bombardé l’église, tuant 79 personnes, dont 48 bébés et enfants. Un des survivants de cette attaque fut Leyner Palacios Asprilla. Lorsqu’il est sorti des décombres, il a découvert que 32 membres de sa famille avaient été tués.

Plus d’une décennie plus tard, en 2014, Leyner a cofondé le Comité des droits des victimes de Bojayá qui représente 11 000 victimes du conflit colombien. Pendant des siècles, en raison de leur pauvreté et de leur isolement, les communautés de la municipalité de Bojayá n’ont jamais pu se faire entendre. Chaque communauté agissait indépendamment, se représentant seule devant le gouvernement, les FARC ou les organisations internationales. Parce que les communautés afro-colombiennes et Emberá étaient distinctes culturellement et linguistiquement, elles se méfiaient souvent les unes des autres. Toutefois, Leyner a compris que si plusieurs voix s’élevaient ensemble, elles seraient plus fortes que si chacune d’entre elles luttait seule pour se faire entendre. Il a uni toutes les communautés dans l’objectif commun d’arrêter la violence et de se battre pour leurs droits fondamentaux. Il a organisé des assemblés avec des représentants de chaque communauté de Bojayá, incluant les plus éloignées, et a encouragé chaque communauté à intégrer une représentante féminine. Aujourd’hui, ces communautés ont créé une voix collective qui amène leurs demandes de respect des droits de la personne aux plus hautes instances gouvernementales du pays et dans le monde entier.

En raison de sa lutte pour la justice sociale, Leyner a été invité à représenter les victimes du massacre de Bojayá lors des négociations de paix entre les forces de la guérilla et le gouvernement. Pour son rôle dans ce processus, il a été mis en candidature pour le Prix Nobel de la paix de 2016. Un autre résultat fut que les FARC ont publiquement reconnu leur rôle dans la tragédie de 2002 en plus de demander pardon lors d’une cérémonie privée organisée à Bojayá.

En rassemblant les communautés dans la lutte pour la justice sociale, Leyner a compris dans quelle mesure l’union de plusieurs voix diversifiées pouvait être puissante. Aujourd’hui, il continue de demander à la Colombie d’embrasser la diversité en respectant les droits de tous ses citoyens et particulièrement des plus marginalisés.

Lenin Raghuvanshi

L’histoire de Lenin

Pendant son enfance dans l’Uttar Pradesh, Lenin Raghuvanshi était troublé par l’inégalité entre les genres dont il était témoin dans la société indienne. En grandissant, sa conscience de la discrimination s’est accrue. En côtoyant des travailleurs asservis en Inde, Lenin s’est aperçu qu’aucun enfant asservi au sein des industries du sari et du tapis ne provenait d’une caste supérieure. Il a identifié les castes, un système de stratification sociale extrêmement hiérarchique et oppresseur, comme la source de nombreux conflits sociaux et comme obstacle majeur à ses rêves de justice pour tous.

En 1996, avec sa femme Shruti Nagvanshi, Lenin a cofondé le People’s Vigilance Committee on Human Rights (PVCHR), un mouvement social inclusif qui conteste le patriarcat et le système des castes et qui défend les droits des groupes marginalisés en Inde. Par une approche populaire néo-dalit, l’organisation travaille pour unifier les Indiens de toutes origines, y compris les Dalits (Intouchables) et les Adivasis (Aborigènes et tribus répertoriées) afin de démonter le système des castes et faire valoir la diversité. Aujourd’hui, PVCHR compte 72 000 membres luttant contre la discrimination fondée sur les castes dans cinq États.

Lenin a redéfini le discours sur la politique des Dalits en Inde. Ses efforts ont attiré l’attention nationale et internationale sur les défis auxquels font face les communautés indiennes marginalisées. Le travail de Lenin dépasse la discrimination fondée sur les castes pour défendre les droits des enfants, des femmes, des travailleurs migrants, des survivants de la torture, des minorités religieuses et de toute autre communauté subissant une discrimination systémique en Inde. Ses initiatives s’étendent d’écoles folkloriques qui enseignent les droits de la personne aux jeunes, aux Jan Mitra Gaon (villages accueillants pour tous), un modèle qu’il met en place dans les taudis et villages conservateurs pour renforcer les institutions locales et promouvoir la non-violence et les droits fondamentaux de la personne.

Dans un pays aussi vaste et diversifié que l’Inde, le travail de Lenin visant à promouvoir l’inclusion et les droits fondamentaux pour tous est complexe, mais essentiel. Dans toutes ses initiatives, Lenin est motivé par sa conviction que chaque vie possède une valeur intrinsèque et qu’aucun cas n’est trop petit. En défendant l’inclusion des personnes défavorisées partout en Inde, Lenin se bat pour le pays qu’il aime. Il fait tout ce qu’il peut pour s’assurer qu’au lieu d’être déchirée par sa remarquable diversité, l’Inde en sera renforcée.

Une des plus anciennes civilisations au monde, l’Inde est en voie de devenir un des pays les plus peuplés. L’Inde est exceptionnellement diversifiée du point de vue religieux, linguistique et ethnique. Près de 80 pour cent des 1,4 million d’habitants de l’Inde sont hindous, mais il y a également des millions de musulmans, de chrétiens, de sikhs, de bouddhistes et de jaïns. Le système des castes en Inde est une hiérarchie sociale datant d’il y a quelque 2 000 ans. Il catégorise les hindous à la naissance, dictant leur place au sein de la société. Les Dalits et les Adivasis se retrouvent au bas de l’échelle. Ensemble, ils représentent près du quart de la population indienne. Ces groupes sont des parias de la société et sont victimes de marginalisation et de discrimination sociales et économiques. Bien que le cadre constitutionnel de l’Inde reconnaisse les droits des différents groupes, le pays connaît une hausse de l’intolérance depuis quelques années, laquelle est alimentée par la montée du nationalisme de droite. On craint réellement que les politiques de citoyenneté inclusive et l’architecture de l’aide sociale en Inde – promues et mises en œuvre dans les 70 dernières années – soient démontées, menaçant ainsi le tissu pluraliste du pays.