Wapikoni

L’histoire de Wapikoni

La réalisatrice québécoise Manon Barbeau a été profondément touchée par l’important taux de suicide dont elle a été témoin chez les jeunes autochtones du Québec. Elle a donc réalisé un long métrage avec une quinzaine de jeunes et, dans le processus, a développé un lien très fort avec une jeune qui s’appelait Wapikoni Awashish. Lorsque Wapikoni, alors âgée de 20 ans, est décédée dans une collision entre sa voiture et un camion chargé de bois, Manon a eu l’impression de perdre une fille. Deux ans plus tard, en 2003, elle a décidé d’honorer la mémoire de son amie.

Remarquant l’aisance et la joie qu’exprimaient les jeunes autochtones dès qu’ils avaient une caméra en main, Manon s’est associée au Conseil des jeunes des Premières Nations du Québec et du Labrador et au Conseil de la Nation Atikamekw pour créer Wapikoni Mobile, une organisation à but non lucratif qui donne une voix aux jeunes autochtones à travers la réalisation cinématographique.

Wapikoni Mobile est le seul studio mobile au Canada à se déplacer dans les communautés autochtones éloignées pour enseigner aux jeunes des techniques de réalisation cinématographique avec de l’équipement à la fine pointe de la technologie qu’ils utilisent pour créer leurs propres courts-métrages et œuvres musicales. Wapikoni Mobile distribue ensuite leur travail, organisant 200 projections par année, que ce soit dans des écoles secondaires éloignées ou dans de prestigieux festivals du film. Après les projections, les jeunes réalisateurs sont invités à parler de leur travail, ce qui crée de nouveaux liens entre les personnes autochtones et non autochtones dans une optique de réconciliation.

Wapikoni Mobile a également fondé le Réseau international de création audiovisuelle autochtone qui utilise le cinéma pour promouvoir le respect des droits des autochtones et l’inclusion sociale dans le monde entier. Aujourd’hui, Wapikoni Mobile a encadré 4 000 jeunes de cinq Premières Nations au Canada et de 17 communautés de cinq pays de l’Amérique latine.

Malgré les nombreux prix qu’a reçu l’organisation acclamée sur la scène internationale, son succès se mesure surtout par la réussite de ses participants : certains ont vu leurs réalisations présentées lors du Sundance Film Festival et dans des universités; d’autres ont reçu des bourses complètes dans de prestigieuses écoles de cinéma; certains sont à l’origine du mouvement Idle No More; et d’autres ont parlé lors des Instances permanentes des Nations Unies sur les enjeux autochtones. À travers leurs films, ces jeunes contribuent à la lutte contre le racisme, le préjugé et l’isolement dont les Premières Nations du Canada ont souffert pendant des générations. Wapikoni Mobile a voulu mobiliser les jeunes autochtones vivant dans des communautés éloignées et par ricochet, l’organisation a grandement bonifié la réalisation cinématographique au Canada en y apportant de nouvelles voix et perspectives.

L’Institut national de musique afghane

« L’Institut national de musique afghane partage un important message de réconciliation, d’unité et de reconstruction. Ses réalisations démontrent comment la musique contribue au pluralisme, favorisant la consolidation communautaire pacifique et interethnique, et ce, en encourageant les étudiants de différents milieux à collaborer en harmonie, littéralement. »

Joe Clark, ancien premier ministre du Canada et président du jury du Prix.

L’histoire de l’Institut national de musique afghane

Dans une cour ensoleillée, une chef d’orchestre se tient devant un groupe de jeunes musiciens. D’un simple coup de baguette, la musique éclate dans les airs. La chanson est dynamique et gaie, et jouée avec une diversité d’instruments afghans et occidentaux par des garçons et des filles. Un groupe de jeunes filles chante : « Je suis une fille, un arbre sous le soleil. Je lutte contre la répression. J’avance avec la connaissance. » Ce concert est organisé en célébration de la Journée internationale de la fille, mais comme toute performance de l’Institut national de musique afghane (ANIM), il célèbre le fait de jouer de la musique, quelque chose que ces enfants n’auraient pas pu expérimenter il y a dix ans.

L’ANIM est le premier institut de musique où les enfants afghans, quels que soient leur sexe, leur ethnie, leur religion et leur condition socioéconomique, sont formés dans un contexte coéducatif en musique afghane traditionnelle et occidentale classique. L’ANIM est particulièrement engagé à soutenir les jeunes les plus désavantagés de l’Afghanistan, à savoir les orphelins et les vendeurs de rue, et à autonomiser les jeunes filles.

Même si l’ANIM a été célébré internationalement, ses succès se mesurent surtout par ses effets sur la vie des gens. Parmi ceux-ci, une enfant qui travaillait dans la rue et qui est devenue le premier violon du tout premier ensemble entièrement féminin de l’Afghanistan; ou une enfant venant d’une des régions les plus éloignées de l’Afghanistan qui est devenue la première chef d’orchestre du pays. À l’échelle sociétale, l’ANIM est devenu un chef de file en promotion d’un renforcement communautaire pacifique et interethnique, car il encourage les étudiants de divers contextes à collaborer en harmonie.

Même s’il n’est plus sous le régime des talibans, l’Afghanistan est toujours un pays divisé qui compte plusieurs ardents détracteurs de la musique et de l’inclusion sociale. Malgré des menaces constantes, l’ANIM défend d’importantes valeurs pour établir une société juste et pluraliste. Comme le dit M. Sarmast, « Nous luttons contre la violence et la terreur avec notre musique. » Ou comme le chante la chorale de l’ANIM, « Les oiseaux chanteront toujours ».

Pendant des siècles, une culture musicale riche et diversifiée a été au cœur de l’Afghanistan. Mais sous le régime brutal des talibans dans le milieu des années 1990, la musique a été complètement bannie et les occasions éducatives, particulièrement pour les femmes, ont drastiquement chuté. Lorsque les talibans sont tombés, Ahmad Naser Sarmast, un musicologue afghan qui avait demandé l’asile en Australie, est retourné dans son pays déterminé à rétablir la musique au sein de la société afghane et à utiliser son pouvoir discret pour transformer des vies dans un pays déchiré par la guerre. Il a fondé l’ANIM en 2010. Aujourd’hui, l’ANIM fait tomber les tabous culturels et crée une nouvelle image de l’Afghanistan tant à l’échelle nationale qu’internationale.

Deborah Ahenkorah

« Je me sens extrêmement choyée de recevoir ce Prix. Après une décennie à faire valoir l’importance de la littérature africaine pour enfants, cet honneur souligne à quel point nous nous rapprochons de notre objectif de mettre la littérature africaine pour enfants sur le piédestal mondial, comme elle le mérite. Il me tarde de voir le jour où nous pourrons entrer dans une librairie, où que ce soit dans le monde, et trouver d’extraordinaires histoires africaines accessibles à tous. »

Deborah Ahenkorah

L’histoire de Deborah

Deborah Ahenkorah comprend le pouvoir des livres. Enfant, elle a passé des jours entiers à éplucher les pages de livres qu’elle trouvait dans les boutiques et les bibliothèques locales. Inspirée par ces histoires, elle s’est imaginé fonder son propre empire de gardiennage, comme celui des filles du Club des Baby-Sitterset elle rêvait d’un Temps des Fêtes hivernal. Mais Deborah n’avait jamais vu de neige. Et le gardiennage n’était pas quelque chose que les jeunes filles faisaient dans sa communauté. Ayant grandi au Ghana, les livres que Deborah lisait étaient importés et remplis de personnages étrangers ayant des noms et des problèmes qui ne lui étaient pas familiers.

Deborah a grandi en croyant que sa culture et ses histoires n’étaient pas importantes. Lorsqu’elle pensait à son avenir, elle ne l’imaginait pas au Ghana. Elle voulait son propre appartement à River Heights, aux États-Unis, le foyer de son héroïne d’enfance, Nancy Drew. Deborah visualisait un avenir éloigné de sa culture, de son histoire et de son pays natal.

Des années plus tard, alors qu’elle étudiait aux États-Unis, Deborah a voulu s’assurer que d’autres enfants africains puissent, comme elle avait pu, avoir accès à des livres. Elle a démarré une organisation recueillant des dons de livres qu’elle envoyait à différents pays africains. Un jour où elle préparait des boîtes, elle est tombée sur un livre illustrant une petite fille africaine. Elle s’est alors rendu compte que parmi les milliers de livres que son organisation avait envoyés à de nombreux pays africains, c’était le premier qui reflétait les réalités des personnes qui allaient le recevoir.

Entrepreneure sociale et éditrice de livres pour enfants, Deborah a créé Golden Baobab en 2008 pour permettre aux auteurs et aux illustrateurs africains de raconter des histoires pour enfants. À travers les livres de Golden Baobab, les enfants sont exposés à des personnages de différents pays et de différentes cultures, langues, religions et ethnies. Cela amène les enfants à développer une perception positive de la différence et à acquérir la pensée critique nécessaire pour changer les stéréotypes et les préjugés.

Cette organisation littéraire à but non lucratif remet également le seul prix au monde qui inspire et célèbre les auteurs et les illustrateurs africains, le Prix Golden Baobab. Maintenant dans sa 11e année, le Prix a reçu la candidature de plus de 2 000 nouvelles histoires et illustrations pour enfants africains et a offert du soutien financier ainsi que des possibilités de publication en plus de travailler pour créer des liens entre les éditeurs du monde entier et les histoires d’enfants africains.

Pour aider à partager les histoires de ces auteurs avec de plus en plus de lecteurs, Deborah a créé l’African Bureau Stories, une maison d’édition de livres pour enfants et une entreprise sociale qui publie des histoires de différentes cultures et ethnies à travers l’Afrique. Ces histoires reflètent le vaste éventail d’expériences africaines.

Deborah s’est employée à assurer une représentation égale dans les livres d’enfants. En cours de route, elle a profondément enrichi la littérature pour enfants en y apportant de nouvelles voix et perspectives. Par son travail, Deborah montre aux enfants que le monde est un endroit plus fort et plus intéressant lorsque nous chérissons et valorisons diverses cultures et histoires.

La littérature influence la façon dont les enfants voient le monde et s’y inscrivent. S’ils sont absents des histoires qu’ils affectionnent, ils pourraient commencer à croire que leur culture et leur voix ne comptent pas. Deborah veut donner à tous les enfants l’occasion de se reconnaître dans les livres qu’ils lisent. Elle espère s’assurer que les jeunes lecteurs de partout aient accès à des livres qui représentent fidèlement l’Afrique et qui sont créés par des Africains.

La recherche démontre qu’un fort sentiment d’appartenance et d’inclusion améliore la santé mentale et le bien-être des enfants, ce qui, en retour, augmente leur acceptation des besoins des autres et leur sensibilité à cet égard. Deborah croit que lorsque les enfants africains se voient représentés dans les arts et la littérature, ils développent une meilleure appréciation de leur propre culture, ce qui les rend plus ouverts à entrer en contact avec la diversité des gens qui les entourent.

Trésor Nzengu Mpauni

L’histoire de Trésor

Sur une grande scène, le chanteur et rappeur congolais Ced Koncept se produit devant une énorme foule d’amateurs en mouvement. Il est suivi par un chanteur de gospel malawien, qui passe ensuite le micro à un groupe de musique reggae. La jeune génération d’artistes émergents occupe une scène voisine. Frayez-vous un passage parmi la foule de festivaliers enjoués et vous découvrirez une panoplie de présentations culturelles dynamiques : pièces de théâtre, récitals de poésie, défilés de mode et kiosques d’artisanat. Cette joyeuse célébration de la musique, des arts et de la culture est le Festival Tumaini, et celui-ci se déroule dans un camp de réfugiés.

Le Festival Tumaini est l’idée originale de Trésor Nzengu Mpauni, aussi connu par son nom de scène Menes la Plume, un populaire artiste hip-hop, écrivain et slameur congolais. Contraint de fuir son pays d’origine, Trésor est arrivé au Malawi en tant que réfugié, se relocalisant dans le camp de Dzaleka. Comme l’a rapidement découvert Trésor, les réfugiés font face à de nombreux obstacles à l’intégration au Malawi. Les politiques nationales de confinement dans le camp limitent les droits des réfugiés de se déplacer librement et d’accéder à l’emploi ou à l’éducation en dehors du camp, empêchant la population de pouvoir améliorer ses conditions de vie et de contribuer à sa société d’accueil. Comprenant que les Malawiens pourraient grandement bénéficier du talent et de la diversité dont il était témoin dans son camp, Trésor a fondé Tumaini Letu (« notre espoir » en swahili), un organisme à but non lucratif qui se consacre à la promotion de l’inclusion sociale, économique et culturelle des réfugiés par les arts et la culture. Deux ans plus tard, en 2014, Trésor a organisé le premier Festival Tumaini comme plateforme faisant valoir l’harmonie interculturelle, la compréhension mutuelle et la coexistence pacifique entre les réfugiés et les communautés d’accueil du Malawi.

En six éditions de ce festival de trois jours, Trésor a réuni plus de 300 artistes de 18 pays et attiré plus de 99 000 festivaliers du monde entier. Le Festival Tumaini est non seulement le seul festival de musique au monde à se tenir dans un camp de réfugiés, il est également devenu un des plus importants événements au Malawi. Étant la principale source de revenus pour Dzaleka, le festival offre des possibilités d’emploi et d’affaires aux réfugiés avant, pendant et après l’événement. En plus de se produire en spectacle, plusieurs réfugiés vendent de la nourriture et des objets artisanaux aux festivaliers ou les accueillent dans leur foyer par le biais du programme de logement chez l’habitant.

Par son travail avec Tumaini Letu, Trésor a initié un important changement des perceptions à l’égard des réfugiés au Malawi et dans le monde. Il a montré qu’un camp de réfugiés pouvait être un lieu dynamique où les gens se rassemblent pour célébrer la diversité. Il a montré que lorsque les sociétés ouvrent leurs portes aux réfugiés, elles accueillent alors une extraordinaire source de résilience, de talent et de possibilités.

Situé à environ 40 km de Lilongwe, la capitale du Malawi, le camp de réfugiés de Dzaleka a été établi par le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés en 1994 afin de répondre à l’augmentation des personnes déplacées de force pour fuir le génocide et le conflit au Rwanda, au Burundi et dans la République démocratique du Congo. Avant de devenir un camp de réfugiés, Dzaleka était une prison politique détenant près de 6 000 prisonniers. Aujourd’hui, Dzaleka est le seul camp de réfugiés permanent au Malawi. Le camp abrite plus de 50 000 réfugiés et demandeurs d’asile d’environ 15 nationalités, et accueille des centaines de nouvelles personnes par mois. La politique malawienne de confinement dans le camp empêche les réfugiés d’habiter à l’extérieur du camp, ce qui limite leur accès à l’éducation supérieure et aux emplois formels.

Carolina Contreras

L’histoire de Carolina

Née en République dominicaine, Carolina Contreras a immigré aux États-Unis alors qu’elle était enfant. Adolescente, elle a subi la culture capillaire rigoureusement imposée qui pousse plusieurs Latino-Américaines à se raidir les cheveux pour éviter d’être ostracisées au travail et à l’école. Comme dans plusieurs endroits dans le monde, les idéaux de beauté européens blancs tels qu’une chevelure raide et lisse sont célébrés en République dominicaine et par la diaspora dominicaine aux États-Unis, et les cheveux à texture afro sont considérés comme étant négligés, malpropres et indésirables.

Après ses études postsecondaires, Carolina a entrepris un cheminement de découverte personnelle qui l’a ramenée en République dominicaine. À cette époque, elle a également commencé à remettre en question les récits coloniaux solidement enracinés et répandus dans la société dominicaine. Après des années à s’assouplir et à se défriser les cheveux, elle a décidé d’accepter ses cheveux naturels pour célébrer son identité en tant que femme de couleur.

Carolina a lancé un blogue de soins pour cheveux naturels pour les femmes et les filles qui voudraient en faire autant. Son blogue s’est rapidement développé en mouvement mondial, atteignant des milliers de personnes de partout sur la planète. En 2014, Carolina a ouvert le Miss Rizos Salon, le premier salon de coiffure en République dominicaine spécialisé dans les cheveux bouclés serrés. Le salon, qui est passé d’une équipe de deux à une équipe de vingt, a lancé une mode célébrant les cheveux naturels et les soins capillaires qui y sont adaptés, inspirant la création de dizaines d’autres salons de coiffure pour cheveux bouclés serrés au pays. En 2020, Carolina a ouvert un deuxième salon dans le quartier new-yorkais de Washington Heights, qui abrite la plus grande communauté dominicaine aux États-Unis.

Aujourd’hui, le travail de Carolina dépasse les murs de ses salons. Par ses activités de sensibilisation en ligne, ses camps d’été, ses ateliers scolaires et sa bande dessinée mettant en vedette une super héroïne noire aux cheveux naturels, l’organisation de Carolina a donné à des milliers de filles, le courage de célébrer la diversité, de contester les stéréotypes et de reconsidérer leurs idées de longue date sur ce que cela signifie d’être belle et digne d’inclusion. L’organisation a également formé des bénévoles du Corps de la paix pour enseigner un programme favorisant l’autonomisation, l’identité et les droits constitutionnels axés sur les valeurs de Miss Rizos d’un bout à l’autre de la République dominicaine afin de permettre aux femmes et aux filles de contester la discrimination anti-Noir en s’opposant à ceux qui perpétuent les préjugés nuisibles contre les cheveux naturels.

La discrimination contre les cheveux bouclés serrés est répandue partout en Amérique, y compris dans les pays comptant une importante population noire. La République dominicaine, qui possède une des plus importantes populations noires en dehors de l’Afrique, a une longue histoire de racisme anti-Noir léguée par des centaines d’années de colonialisme. Les normes de beauté blanche eurocentriques sont célébrées dans les médias et dans la culture populaire, et plusieurs Dominicaines noires sont traditionnellement poussées à nier leur identité pour accéder aux hautes sphères de la vie publique. Malgré leur longue présence historique et leur rôle fondamental dans la formation de l’identité de la région, les Afro-Latino-Américaines continuent de subir une discrimination généralisée.

ArtLords

L’histoire de ArtLords

Mouvement social populaire combinant l’art et l’activisme, ArtLords a été fondé à Kaboul en 2014, lorsque les « artivistes » d’ArtLords, des artistes et activistes de la société civile, ont commencé à peindre des murales sur les murs bombardés de la ville. Depuis, ArtLords utilise l’art urbain, le théâtre et la sensibilisation communautaire pour plaider en faveur de la paix, de la transformation sociale et de l’imputabilité d’un bout à l’autre de l’Afghanistan et dans le monde.

Lorsque les talibans ont repris le pouvoir en Afghanistan en août 2021, ArtLords poursuivait ses activités. Le matin du 15 août 2021, alors que les talibans étaient aux portes de Kaboul, les artivistes d’ArtLords se sont rendus au bureau du gouverneur pour peindre une murale en célébration de la diversité et de l’unité. Lorsqu’ils ont vu des personnes en panique quitter l’édifice, ils se sont faufilés dans les rues chaotiques pour revenir à la galerie d’ArtLords, où ils ont appris que Kaboul était tombée.

Les talibans ont peint par-dessus plusieurs murales d’ArtLords, les remplaçant par de la poésie religieuse ou des messages protalibans, mais l’influence du collectif ne s’efface pas facilement. Ayant créé plus de 2 000 murales dans les provinces afghanes, le mouvement a répandu des messages de paix, de justice et d’inclusion dans tout le pays, favorisant et facilitant le dialogue entre Afghans. Lorsqu’ils peignent leur murale, les artivistes d’ArtLords invitent les passants à prendre un pinceau pour se joindre à eux. Ils encouragent les Afghans de toutes les religions, tribus et idéologies à créer la murale en collaboration et à en parler ouvertement. ArtLords a transformé des murs vierges en vibrants espaces favorisant la collaboration, la réflexion et la conversation, donnant aux diverses communautés afghanes des occasions d’entrer en contact les unes avec les autres et de renforcer leur confiance mutuelle.

ArtLords a également lancé une galerie d’art, un magazine artistique et culturel, un café et un vaste éventail de programmes de sensibilisation qui comprend notamment des ateliers de théâtre et de peinture. En partenariat avec le ministère afghan de l’Éducation, ArtLords a travaillé avec 38 écoles secondaires pour créer des murales avec les élèves afin de susciter la discussion et la réflexion sur des enjeux sociaux clés. La campagne d’ArtLords Let’s Talk Afghanistan permet aux jeunes de diverses communautés de se rassembler pour envisager un avenir inclusif et démocratique pour leur pays, et pour travailler en vue d’y parvenir.

Aujourd’hui, le travail d’ArtLords se poursuit en exil. Fermement engagé envers la liberté d’expression et ayant une foi renouvelée envers le pouvoir transformateur de l’art, ArtLords coordonne de nouvelles murales en Albanie, en Italie et aux États-Unis (É.-U.), et vient de lancer une campagne pour commencer des séances d’art thérapie pour les réfugiés afghans demeurant dans des camps de concentration dans divers pays.

L’Afghanistan est un pays diversifié qui se compose de nombreux groupes ethnolinguistiques ayant une histoire culturelle exceptionnellement riche. Le pays a été sous le contrôle des talibans de 1996 jusqu’à l’invasion dirigée par les Américains en 2001. Les talibans ont repris le contrôle du pays en août 2021. Dans l’intervalle de 20 ans, l’Afghanistan a réalisé d’importants progrès dans la société civile, les médias, l’éducation et le savoir, et a connu une résurgence des arts et de la culture. La violence de la dernière décennie a eu un impact sur la vie de tous les Afghans, indépendamment de leur ethnie, de leur langue et de leur emplacement. La gestion efficace et équitable de la riche diversité de l’Afghanistan sera essentielle à la stabilité future du pays, et cruciale au maintien de la paix et de la prospérité dans le pays et dans la région dans son ensemble.

Lea Baroudi

L’histoire de Lea

En 2015, de jeunes Libanais issus des deux camps d’un conflit vieux de plusieurs décennies se sont réunis pour monter une pièce de théâtre. Amour et guerre sur un toit : un conte tripolitain est une comédie inspirée de leur vie dans la ville de Tripoli, dans le nord du pays. Au début, les jeunes arrivaient armés aux répétitions. Ils devaient laisser leurs couteaux et leurs armes à feu dans un sac à ordures déposé à la porte d’entrée. Après des mois de répétitions, ils sont passés du statut d’ennemis à celui d’amis et se sont produits à guichets fermés dans tout le Liban. Lors de la dernière représentation, l’un des acteurs a pris un autoportrait avec les autres membres de la troupe. Derrière eux, un public hétéroclite les ovationne. Au centre se trouve Lea Baroudi. 

Lea Baroudi est médiatrice de paix et cofondatrice et directrice de MARCH, une organisation à but non lucratif qui utilise l’art, la culture et l’entreprise sociale pour favoriser la réconciliation et le dialogue entre des groupes opposés au Liban. 

À Tripoli, le quartier majoritairement sunnite de Bab al-Tabbaneh et le quartier à majorité alaouite de Jabal Mohsen sont séparés par une seule rue. Autrefois symbole de la prospérité de la ville, la rue de Syrie est devenue une ligne de démarcation lors de la guerre civile libanaise (1975-1990) et a servi de ligne de front dans un conflit vieux de plusieurs générations entre ces deux communautés. Entre 2008 et 2014, des violences ont éclaté à plusieurs reprises, faisant des centaines de morts et des milliers de déplacés, et détruisant les infrastructures de la ville. Lorsque la guerre a éclaté dans la Syrie voisine en 2011, les hostilités se sont intensifiées et les quartiers de Tripoli sont devenus le théâtre de batailles par procuration. Les fusillades ont cessé en 2014, mais la crise économique et les profondes divisions sectaires persistent.  

En travaillant avec les jeunes pour la pièce de théâtre, Lea Baroudi a constaté que le conflit sectaire était principalement causé par l’extrême pauvreté et la marginalisation. Les jeunes n’avaient pas d’espaces communautaires ni de moyens de gagner un revenu hormis le combat. En réponse, elle a ouvert un café culturel sur les anciennes lignes de front du conflit. Plus qu’un café, Kahwetna est le premier espace permettant aux membres des deux quartiers de collaborer à des projets créatifs et d’accéder à des possibilités économiques. MARCH a également créé deux entreprises sociales : Kanyamakan Designs, qui enseigne la fabrication de meubles, la broderie et la peinture sur bois, et l’initiative de construction BEDCO, qui fait participer les jeunes à la restauration de maisons et d’entreprises endommagées par le conflit.  

Pour son courage et son engagement à instaurer la confiance entre les communautés en guerre, Lea Baroudi a reçu de nombreuses distinctions, dont le titre de membre honoraire de l’Ordre de l’Empire britannique décerné par Sa Majesté la reine Élisabeth II. Pour Mme Baroudi, cependant, la plus grande récompense est d’assister à des transformations personnelles : voir des porteurs d’armes devenir des acteurs, des artistes et des charpentiers, ou de jeunes décrocheurs scolaires devenir des leaders de la réconciliation.

Deeyah Khan

L’histoire de Deeyah

Dans une petite chambre de motel, la réalisatrice Deeyah Khan est assise devant Jeff Schoep, sa caméra en marche. Il est le chef de la plus grande organisation néonazie d’Amérique. Elle est une femme musulmane qui a été confrontée au racisme et à la misogynie toute sa vie, et pourtant, c’est elle qui a pris l’initiative de cette rencontre. Il a accepté de lui parler, mais seulement une heure. Mme Khan et M. Schoep ont finalement discuté pendant cinq heures. À un moment donné, elle lui montre une photo d’elle, alors qu’elle avait six ans, lors d’un rassemblement anti-extrémiste avec son père en Norvège. « Les personnes qui représentent ce que vous représentez ont fait en sorte qu’une enfant de six ans se sente détestée », dit-elle. « Comment vous sentez-vous face à cela? » Pendant un moment, M. Schoep ne parle pas. Il finit par dire : « Mal à l’aise ». Deux ans plus tard, il quitte le mouvement, attribuant à Mme Khan le mérite d’avoir changé sa vie et sa vision du monde. 

Cette scène, tirée du film réalisé par Mme Khan en 2017, White Right: Meeting the Enemy, est l’une des nombreuses conversations difficiles auxquelles Mme Khan s’est livrée dans sa recherche de solutions à la haine et à l’extrémisme. Depuis plus de dix ans, elle réalise des documentaires qui remettent en question les stéréotypes et favorisent la compréhension au-delà des plus grands clivages idéologiques, religieux et raciaux. Elle a reçu de nombreux prix, dont deux Emmy et un BAFTA. 

Avec la montée de la désinformation et des théories du complot en ligne, de nombreuses sociétés connaissent une polarisation, une fragmentation et une ascension du populisme qui sont renforcées par les chambres d’écho en ligne. Il est essentiel de trouver des moyens de dépasser ces clivages et d’exprimer un désaccord respectueux tout en étant capables de travailler ensemble pour résoudre les problèmes. Lorsque nous échouons à le faire, le pluralisme s’effondre violemment. 

Par le biais de sept documentaires et de Fuuse, une société de production qu’elle a fondée en 2010, Mme Khan s’est penchée sur de nombreuses menaces inquiétantes pour le pluralisme. Elle a facilité des dialogues avec des djihadistes, des membres de milices armées, des terroristes américains, des suprémacistes blancs, des militants contre l’avortement et des auteurs de violence conjugale et même des meurtriers. Outre son immense courage, son approche consiste à écouter avec une curiosité et une empathie inébranlables afin de déceler l’humanité derrière les discours haineux et de trouver un terrain d’entente.  

Dans un contexte d’extrémisme et de radicalisation, Mme Khan propose des solutions innovantes pour vivre ensemble pacifiquement. Ses films ont transformé d’innombrables personnes, qu’il s’agisse d’individus comme Jeff Schoep ou des dizaines de millions de personnes qui ont vu ses films à travers le monde. En s’efforçant d’entendre et de comprendre toutes les voix, y compris celles avec lesquelles elle n’est pas d’accord, Mme Khan démontre le pouvoir de la compassion et d’un dialogue respectueux pour surmonter les préjugés.